Stuck with you (david)

Eli était tout ce qui te faisait défaut. Tu étais cet enfant introverti, pas capable de se mélanger aux autres, toujours en décalage, c’était plus fort que toi, tu dansais sur un rythme trop différent. Mais Eli était spécial. Eli avait du classique entre ses mèches, du blues entre les orteils, du jazz aux chevilles, de la country dans les jambes, de la pop dans le buste, du rock jusqu’au bout des doigts et le punk qui gratte sa gorge. Eli, c’était une mélodie entraînante avec tellement de facettes qu’il pouvait plaire à n’importe qui. Être ami avec lui illuminait inévitablement la vie, il donnait envie de chanter, de danser, de tourner, de sauter dans tous les sens. C’était une énergie sans limite qui secouait tous ceux et celles qui l’approchaient. Et quand vous avez décidé de fonder les Saving Stardust, tu as tout de suite compris que le groupe avait besoin de cette lumière. Tu savais que tous les regards se retourneraient automatiquement vers lui.
((Tu l’as toujours su.)).

Si Eli ne te traînait pas hors de ta chambre d’hôtel, tu pourrais passer des heures à répéter, écrire et écouter de la musique sans manger, sans boire ou dormir. La musique est tout ce dont tu avais besoin. Mais malheureusement, tu n’es qu’un pauvre homme -avec une peau qui colle- qui a besoin d’air frais et de boissons chaudes. Alors tu te laisses embarquer dans cette sortie pour le bon plaisir de ton chanteur. Il fallait croire que tes années passées avec lui avait simplement piétiné ta conscience et tu ne parvenais pas à entendre cette petite voix dans ta tête qui te hurlait de ne pas t’exposer comme vous le faisiez. Si Josh vous avez croisé dans les couloirs, sans doute vous aurait-il prévenu du danger. Mais il fallait croire que vous étiez deux pauvres inconscients prisonnier d’une fantaisie infinie.

La célébrité n’a rien arrangé à cela, dans ton cas. Tu vivais toujours dans un monde à part, sauf que cette fois, ton statut de bassiste ajoutait un je-ne-sais-quoi qui te rendait attirant aux yeux des fangirls. Il est si mystérieux, qu’elles disaient. Il est si intense, qu’elles ajoutaient parfois. La vérité est que tu es juste un idiot mais bon, il fallait bien les laisser rêver. Les paumes posées contre les accoudoirs et le regard perdu dans ton fond de tasse froid, tu redresses la tête qu’après avoir sauvagement reçu un rappel de la réalité nichée au bout du coude d’Eli. Message reçu, il est temps de décamper.
((Eh Merde.))

« Le petit David a, comme qui dirait, un gros problème. ». Tu as beau tirer sur tes mains, impossible de les décoller. Et tu les voies qui se rapproche, la colle de ton épiderme qui s’étale encore plus que les morceaux de chaise et toi qui pousse un soupire. « C’est chiant, je vais pas pouvoir répéter mes accords ce soir. ». Mais David, tu ne penses pas qu’il y a d’autres problèmes dans l'immédiat que ta putain de répétition ? Non, tu captes pas ? ((T’es pas croyable.)).

Globalement, tu étais un garçon assez calme. Pas du genre à faire grabuge, tu restais dans ton coin, tu embêtais personne. Enfant, ta présence avait carrément tendance à s’effacer dans le décor. Tu étais sage comme image, parfois même un peu endormi, un peu dans ton monde, un peu dans ta tête, un peu partout d’ailleurs sauf ici. Comme si ton esprit était bloqué dans une réalité parallèle où les notes de musiques guidaient les gens, les sons du quotidien étaient plus forts, plus présent, tu n’entendais plus que des paroles de chansons, des décors sonores, artifices et autres babioles auditives. Un univers où les conversations se faisaient en accords de musique, les disputes vibraient entre les cordes des guitares électriques, les mots d’amour résonnaient dans la cage des guitares sèches. Et alors que tout ton être se perdait dans cet utopie musicale, ton corps se laissait entraîner par le chaos de la réalité.

Eli était un personnage imprévisible. Toujours dans l’excès, l'exubérance à son apogée, c’était un concentré de feu d’artifice. Et même quand tu pensais t’attendre à sa prochaine action, il arrivait quand même à te surprendre. D’une certaine façon, chacune de ses fantaisies nouvelles te faisaient dire : Sacré Eli. Comme un mélange d’étonnement et nostalgie. ((C’est froid.)). Ton souffle se coupe d’un coup, tes paupières tombantes se sont soudainement retroussées. « … En effet, le liquide ne semble pas fonctionner. Et maintenant, j’ai froid. ». Cette journée était de mieux en mieux.

Tu le voies qui commence à paniquer, tandis que de ton côté, tu sembles maîtriser la situation. Enfin, “maîtriser” est un bien grand mot, disons plutôt que le stress ne te caresse même pas l’échine. Un coup d’oeil discret vers les demoiselles qui se rapprochent en se dandinant, tes yeux reviennent sur le visage de ton chanteur qui se perd dans l’élaboration de plans foireux. ((En parlant de plan foireux.)). « Ok, j’ai peut-être une idée. ».

Tu avais donc cette réputation de gentil garçon, ce n’était pas un mensonge. Mais fréquenter Eli depuis autant d’années n’a pas été anodin. Et parfois, quand les choses semblent inespérées, quand les gens s’y attendent le moins, c’est toujours le “good boy” qui finit par les surprendre. N’est-ce pas, David ?

D’un coup, tu bascules la chaise vers l’arrière jusqu’à tomber à la renverse. L’attention, qui était déjà tournée dans votre direction, s’accentue encore plus. En te levant, tu fais glisser tes jambes vers l’arrière du dossier pour avoir une prise totale sur la chaise. Et là, après avoir pris une grande inspiration, tu hurles au milieu du café. « FUCK LE SYSTÈME ! » en brisant le siège sur le sol, si bien que seuls les accoudoirs restent collés à tes paumes. « On se tire, maintenant ! » que tu ajoutes plus bas en bottant les fesses d’Eli, prenant tes jambes à ton cou pour te ruer hors de l’établissement. A vos trousses, probablement les midinettes, impressionnées par cette attitude “punk”, ainsi que le propriétaire du café. Dans votre course, tu ne peux t’empêcher d’ajouter. « Faudra dire à Josh de racheter une chaise pour le monsieur, j’pense. ». ((On ne se méfie jamais des gentils garçons.))

C’était comme un constant retour en arrière. Eli et toi, vos courses effrénées pour échapper à la sentence d’un monde trop étroit pour vos esprits chaotiques. Bloqués en enfance, toujours à fuir les conséquences de vos idées folles, tu pourrais le blâmer pour t’avoir influencé toute ta vie mais ce ne serait qu’un vulgaire mensonge. Au final, vous vous étiez bien trouvé tous les deux, taillés dans la même pierre volcanique, différents mais brillants d’un même éclat explosif.

Y’a trop de choses qui te passent par dessus la tête. Rien n’est plus urgent que ce qui doit se régler à l’instant, le reste peut attendre. Et là, ce qui t’embête, ce sont ces morceaux de bois collés à tes paumes, le souffle qui commence à te manquer -fallait pas sécher les cours de sport pour chauffer ta gratte- et les midinettes à vos trousses. T’arrives pas à réfléchir avec toute cette agitation. Déjà que t’as du mal à réfléchir en temps normal … « Ah ouais ? Ah. ». Toujours aussi expressif, ce David. Mais t’y peux rien, là maintenant, t’as qu’un envie, c’est d’un putain de break. « Elles sont déterminées, ces gonzesses, putain. ». Et vous, vous êtes plus très en forme après votre petit sprint improvisé. Décidément, la vie de star, c’est quelque chose. Si on t’avait dit que le forfait courses poursuites par des fans hystériques étaient inclus dans l’abonnement, t’aurais peut être pas signé en fermant les yeux.

Et d’un coup, t’as Eli qui te saisit le bras, sa paume contre ta peau, t’as à peine le temps de marmonner qu’il t’a déjà entraîné dans une drôle de ruelle. « Je suis pas sûre que ce soit une bonne idée de me prendre par le-Woh ! ». Le chanteur se prend les pieds dans un tas d’ordure et finit comme un rat au fond d’une benne. Oh, tu te serais bien foutu de sa gueule si sa main n’était pas resté accroché à toi et avait précipité ton visage sur le rebord de la poubelle métallique dans un choc ridicule. « PUTAIN ELI. ».

Là, y’en qui peuvent se demander pourquoi tu te mets à gueuler que maintenant. Résumons la situation. Étaient actuellement collées à ta peau les choses suivantes : Les deux morceaux d’accoudoirs brisés sur chacune de tes paumes. La main d’Eli sur ton avant bras. Et cette putain de benne à ordure contre ta joue. Ah, rectification, les bouts de bois viennent de se décoller dans un couinement fatigué, comme une vieille semelle molle. Et tu le sais, qu’il va falloir se bouger. Tu le sais qu’il va falloir se décoller de force et que tu vas souffrir comme jamais. « Ok, voyons le bon côté des choses. ». T’es sûre de toi, sur ce coup, David ? « Au moins, ces nanas nous ont pas suivi. ». Ouais, enfin, c’est qu’une question de temps avant qu’elles vous retrouvent. ((Putain de merde.))

Tu prends une grande inspiration. C’était pas le moment de paniquer, tu savais que ça ferait qu’empirer les choses. T’essaies de tirer un peu Eli pour l’aider à sortir, histoire de pas avoir les rebords de la poubelle enfoncé dans l’intérieur du coude. « Ok. Ok. On va y aller tout doucement. ». Une fois le chanteur sortie de la boîte à ordures, tu parviens à capter son regard tant bien que mal compte tenu de ta position plus qu’inconfortable. « Bon, maintenant, quand je te dis de retirer ta main, tu tires. ». Courage David, ça piquera moins que pour ta joue. « Tires ! ». Que Dieu ait pitié de ta pauvre peau adhésive.