| Sujet: disconnect (libre) :: Dim 29 Nov - 21:30 | | août 83 libre
Le soleil n'a pas atteint l'horizon. Ses rayons chaleureux envahissent encore quelques boulevards, quoiqu'ils n'atteignent pas les sombres ruelles de la ville, et dessinent au sommet des immeubles de magnifiques fresques rougeoyantes. En cette fin d'été, le béton semble plus que jamais coloré et le spectacle qu'offre ce coucher de soleil pourrait sans nul doute tranquilliser les esprits, apaiser les cœurs les plus blessés par les récents événements. Mais pas le tien, non, plus le tien. T'es devenu comme insensible à la boucherie humaine, aux hurlements des mutants, aux regards accusateurs de tes pairs qui te traitent en paria, en complice. Insensible en surface, en rage à l'intérieur. Clébard qui en a assez de ronger inlassablement les mêmes chaînes, sans autre résultat que celui de se briser les crocs. Tu laisses traîner un regard las, désintéressé, sur l'éclat chaud de l'asphalte illuminé qui s'étend sous tes yeux, mais les flammes incandescentes de l'astre roi ne parviennent pas à réchauffer tes iris pâles.
Il y a du monde dans les rues. Les passants se pressent, se bousculent, le trottoir est devenu un champ de bataille pour ces silhouettes humaines. Chacun se hâte de faire ses affaires avant l'heure fatidique du couvre-feu. Ton pas bien plus mesuré détonne au milieu de ce chaos. Et quoique tu progresses les épaules voûtées, sans jamais croiser le moindre regard, ta carcasse épuisée ne passe pas totalement inaperçue. Quelques êtres intrigués ne peuvent se retenir de t'observer un instant, ton visage, ta peau pâle, les cernes sous tes yeux. Tu ne portes pas l'uniforme de l'UAM pourtant, mais des vêtements civils, les tiens, profitant d'un de ces rares moment de quiétude pour rentrer chez toi. Dans ton appartement en désordre que tu délaisses depuis ces derniers mois, bordel ambiant qui s'entasse et que tu ne parviens pas à ranger. Cet appartement vide, froid, dans lequel tu ne te sens plus en sécurité. C'est sans doute pour ça que tu prends ton temps, peu pressé à l'idée de t'enfermer dans une nouvelle cage. Sans doute pour ça qu'au détour d'un square, d'un minuscule parc, tu décides de t'arrêter un instant sur un banc et de t'immobiliser là, la gueule éclairée par le soleil.
Il y a des gamins qui font du skate, un vieil homme qui promène son chien, deux femmes qui discutent un peu plus loin ((l'une d'elle a la main sur une poussette)). Un spectacle affolant de banalité auquel tu n'es plus habitué. Beaucoup d'émotions enserrent ta gorge et bloquent ta respiration ; de l'incompréhension, de la colère ((comment la vie peut elle continuer, comment peuvent-ils faire comme si de rien n'était ?)) et de la jalousie, sans doute, aussi. Tu envies ce simulacre d'insouciance et de liberté. Tu l'envies et tu le hais. Pourtant, la tranquillité de ton esprit laisse supposer qu'aucun mutant ne s'est, pour l'heure, approché. Tu ressens bien quelques présences mais celles-ci sont suffisamment éloignées pour te laisser souffler. Et putain que tu as besoin de souffler, te vider l'esprit, étouffer tes sentiments et cette agitation permanente dans ton crâne. Alors, dans un soupir, tu viens appuyer tes coudes sur tes cuisses et dissimuler ton visage au creux de tes mains, pour mieux fermer les yeux, faire disparaître ce décor et disparaître avec lui. Quelques instants de répit dans ton quotidien infernal.
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