Black Night

Il se souvenait de ses premiers questionnements quand son pouvoir était apparu, les premières théories qui avaient provoqué autant de projections, les premières réponses et les nouvelles angoisses qu'elles avaient apportées. Le temps où il faisait tout pour rester sur son plan d'origine, à lutter et se débattre contre des forces qui finissaient toujours par gagner. Alors que sur l'autre plan tout était plus simple. Sans douleur, du moins tant que ça concernait la partie physique du phénomène. Moins pesant. Il se souvenait des débuts, où il aurait même été impensable qu'il passe plus de temps hors de son corps qu'à l'intérieur, à éviter le plus possible. Rester accroché, d'une manière ou d'une autre, au monde physique. Alors que c'était bien mieux comme ça, plus simple de rester à quelques mètres de hauteur pendant qu'il errait sans réel but entre ou à travers les immeubles, à juste essayer de repousser ses propres limites. À monter le plus haut possible, et se laisser tomber, encore et encore.

Les yeux sur la grande carte accrochée au mur de son bureau, il réfléchissait. Pourquoi pas tenter de passer le Mississippi ce soir, atteindre l'autre rive au sud. Son regard qui avait dévié sur le sud-ouest, sur la croix rouge, sur les épingles plantées plus ou moins près, les trous là où il avait déjà éliminé plusieurs points de départ pour ses projections dans la prison. Encore du temps pour trouver le bon, le moins pire. L'envie d’agripper le papier et l'arracher, et sa main - ou en cas l'image qu'il en avait - qu'il avait levée à la hauteur du fleuve qui traversait la carte, essayant d'estimer la distance. Faisable, en théorie.

La première volée de coups sur sa porte qui l'avaient figé, et la peur instinctive au creux de là où aurait du se trouver son ventre. Game over, ils l'avaient trouvé. Le mur qu'il avait traversé d'une pensée, et le coup d’œil à son corps toujours à l'endroit où il l'avait laissé, assis par terre et le dos collé au bas du canapé. Inutile d'y retourner, il ne pourrait de toute façon rien faire, autant en profiter pour voir ce qui arrivait à son esprit quand son enveloppe s'éloignait, et il avait rejoint la porte alors que la seconde volée s'écrasait contre le bois renforcé. La tête passée au travers, invisible aux yeux de tous tant qu'il n'en décidait pas autrement, et les siens qui s'étaient écarquillés de surprise. Qu'est-ce qu'il foutait là, alors que le poing de l'homme heurtait à nouveau rageusement la porte, tout près de son oreille astrale.

À côté de l'autre dans le couloir, à le regarder s'acharner contre la porte, son état, l'odeur de l'alcool qu'il aurait certainement pu sentir s'il avait eu ce sens sur ce plan, et celui qu'il entendait dans sa voix. Il aurait pu repasser dans son appartement et lui dire qu'il était malade, ou n'importe quelle autre excuse à moitié valable qui lui passerait par la tête en espérant que le jeune homme rebrousserait chemin. Plus simple qu'il le croit juste pas là, c'était déjà plus ou moins le cas, mieux comme ça, et il était retourné dans son bureau.

Les coups s'étaient arrêtés au bout d'un moment, Noah avait du se lasser, et il s'était à nouveau concentré sur la carte, sur les trop nombreux cercles qui s’emmêlaient autour de son appartement, autour de la croix rouge. Peut-être songer à en racheter une, ou utiliser un nouveau code d'annotations. Le bruit soudain dans l'entrée, un qu'il connaissait parfaitement: quelqu'un qui venait de se vautrer dans l'un des coussins du couloir. Nouvelle sortie de son bureau verrouillé, pour tomber sur son ami en train de se débattre pour échapper à l'emprise d'un pouf en velours orange et essayer de s'en relever. La porte était fermée à clé, il en était certain, il avait vérifié plusieurs fois avant de provoquer sa projection, et elle l'était toujours quand il l'avait passé quelques minutes plus tôt. Là tout de suite aussi. Pareil pour les fenêtres, sans même parler du fait qu'il habitait au cinquième. Alors comment il était entré?