That day ft. Máni

“Non, Sofia, je ne sais pas où se trouve le doudou de Mýr.
- Oui, j’ai cherché partout.
- Non, je n’ai pas regardé dans le frigo, pourquoi est-ce qu’il serait dedans ?
- Comment ça son doudou jouait aussi à notre partie de cache-cache ? Elle ne m’a rien d…
- Ok, ne t’énerve pas, je vais voir.“

Malgré toute la bonne humeur de l’Islandais, il ne peut retenir un soupir exaspéré, autant destiner à son ex-femme qu’à lui-même, tous les deux surpris à chaque fois par l’inventivité dans les bêtises de leur fille. Les mauvaises langues diront qu’elle tient ça de son paternel, que l’espièglerie est héréditaire et c’est avec une certaine fierté que Máni observe son enfant redoubler d’ingéniosité. Pour lui, Mýr ne lui mène absolument pas la vie dure, bien au contraire, il encourage cet esprit vif et ce besoin d’aventures. Cette petite est le portrait craché de son père, douce, mais téméraire. Petites terreurs, de pères en filles, et fiers de l’être.

Il ouvre la porte du réfrigérateur. Étonnamment, il est plutôt bien rempli et avec de la nourriture variée. S’il vivait seul, peut-être que les choses seraient tout autre, mais avec une enfant en pleine croissance, il fallait faire les choses bien. Máni avait même pris deux ou trois cours de cuisine, et il avait découvert qu’il était plutôt doué dans ce domaine. Pour être honnête, entre ses années étudiantes et ses déploiements aux quatre coins du monde, le chirurgien n’avait pas vraiment eu le temps de se découvrir un attrait pour la cuisine. Par conséquent, il ne savait pas quoi acheter, ni quand ou comment le préparer. Heureusement, il n’est jamais trop tard pour apprendre, alors l’Islandais acheta trois ou quatre livres de recettes et l’entraînement fit le reste.

De prime abord, il ne remarque rien, pas la moindre trace de la laine bleue du mouton de Mýr. Finalement, c’est perdu entre un morceau de fromage et un pot de yaourt à la grecque que le doudou fait son apparition. Le pauvre a passé la journée là-dedans. Refermant le frigo avant que les chats ne se ruent vers la cuisine pour quémander leur dîner, Máni rapporte la bonne nouvelle à Sofia.

“J’ai retrouvé Monsieur Sauðfé, il était perdu à l’étage produits laitiers.
- Non, je ne peux pas venir, la voiture est en panne, je dois avoir un problème de freins.
- Mýr est chez tes parents ? Mais c’était à toi de la gard…
- Un voyage d’affaires en Italie, hein ?
- Ne les dérange pas, j’y vais à vélo.
- Non, vraiment, ne les appelle pas, j’y vais. Allez bisous, bye, bye, BYE, au revoir, bisous, AU REVOIR ! Hop, je ne t’entends plus, bye. Salut.“

Máni éteint son téléphone avec une légère grimace, un peu soulagé d’avoir pu couper court à la proposition de son ex-femme. Il n’a rien contre les parents de Sofia, c’est plutôt eux qui ont un problème avec lui. Ils lui ont toujours fait sentir qu’il n’approuvait pas leur union et l’Islandais est certain qu’ils ont sauté de joie quand ils ont appris pour le divorce. Difficile de s’intégrer dans une famille traditionnelle italienne, surtout quand on vient soi-même d’une famille fière de ses racines nordiques. L’outrage de trop fut sûrement le nom donné à sa fille, purement islandais. Depuis, le chirurgien peut sentir leur dédain à des kilomètres et s’est toujours arrangé pour passer le moins de temps possible en leur compagnie.

Rien qu’à l’idée de devoir mettre le nez dehors avec ce temps instable, un long soupir lui échappe. Si on lui avait dit qu’être parent signifiait rejoindre la ville d’à côté à vélo pour rapporter le doudou perdu de sa fille, il aurait réfléchi deux fois avant de s’envoyer en l’air sans capote. Mais non, il avait fallu qu’il soit ivre et qu’elle soit jolie.

Il n’a le temps de rouler que quelques minutes avant que la météo ne change subitement. Il aime sa fille plus que tout au monde, mais il n’est pas certain de vouloir risquer une pneumonie pour un mouton en peluche. Dans sa jeunesse, quelques nuages ne lui auraient pas fait peur, mais Máni se fait vieux et sa stupidité d’autrefois perd peu à peu du terrain face à la quarantaine d’années qui pèsent désormais sur ses épaules. L’Islandais a à peine le temps de mettre l’antivol sur son vélo qu’une pluie torrentielle lui tombe dessus. Il lâche juron sur juron et entre avec fracas à l’intérieur du bar, s’excusant rapidement pour le bruit dans un rire amusé. Intérieurement, il félicite son instinct qui le poussa à s’arrêter. Toujours au top de sa forme, le Máni.

"Allez magnum, il semblerait que l'on va passer la fin de soirée ensemble.
- Si ça ne vous dérange pas, je vais rejoindre votre petit tête-à-tête parce qu’il est impossible de mettre le nez dehors avec cette pluie !"

Le chirurgien se glisse sur le tabouret et commande un café pour lui, et le remplissage de son verre pour la jeune femme à l’air abattu. Le mouton en peluche rejoint le comptoir pour sécher, il n’a malheureusement pas été épargné. Ce doudou aura tout vu aujourd’hui. “Tout ça pour une peluche, qu’est-ce que les enfants ne nous font pas faire, tente-t-il amicalement pour entamer la conversation. Vous en faites une drôle de tête, qu’est-ce qui vous mine le moral comme ça ?”

Máni remue doucement son café, mélangeant le sucre et la crème offert avec, mais gardant le biscuit de côté. Quelques secondes passent, et soudain, la douceur se lit sur les lèvres du père de famille. “Bien sûr, vous n’êtes pas obligée de me répondre, je comprendrais. On ne se connaît pas, après tout. Je m’appelle Máni, je travaille à la boulangerie au coin de la rue. On s’est peut-être déjà croisé là-bas ?”