appel.s entre Luke et Hiram

fin juillet 1983, dans l’après-midi

Il a déjà répété ce geste tant de fois. Appris le numéro par cœur, juste au cas où. Passé des heures à fixer le combiné comme si celui-ci détenait toutes les réponses à ses questions, pouvait résoudre tous les mystères de l’univers. Et puis, quand il se décidait enfin à appeler, il raccrochait aussi vite. Terrifié à l’idée que son frère le rejette. Préférant la fuite à cette possibilité-là, où son existence n’est pas la bienvenue. Il avait voulu se protéger mais au final, cela n’avait pas suffi. Luke Douglas l’avait retrouvé avant qu’il ait eu la chance de lui expliquer qui il était, qui ils étaient l’un pour l’autre, et avait écrasé ses espoirs.

Sa lettre l’a pris par surprise. Il ignore quoi en penser. Ce ne sont pas les explications qu’il espérait, mais ce sont les excuses qu’il attendait. Un premier pas qu’il n’imaginait pas Luke faire et soudain, c’est à lui seul de décider. Il ne sait pas s’il veut prendre ce risque. Il ne sait pas s’il veut continuer à vivre dans l’ignorance. Mais il sait qu’il ne peut pas rester planté là comme un idiot, qu’à un moment, il va devoir prendre une décision. Alors sur un coup de tête, sans se laisser le temps de regretter, il s’empare du téléphone et compose le numéro de Luke Douglas. Au fond de lui, il n’est toujours pas parvenu à faire le deuil de la famille parfaite et ne demande qu’à donner une seconde chance à son frère. « Allô ? C’est Hiram. J’espère que je… j’espère que je ne vous dérange pas. » Il se mord les lèvres, écoute pendant quelques secondes le silence insoutenable avant de poursuivre, hésitant : « Vous m’avez dit d’appeler. »

Assit sur son canapé Luke est en pleine lecture. Il ne lui reste que quelques chapitres avant de terminer sa lecture, ce qu'il n'a plus eu le temps de faire depuis un moment. De nombreuses années qu'il n'a pas pris un moment pour lire un bouquin dans sa totalité. Il était passé dans une librairie un peu plus tôt dans la journée. Une petite discussion rapide avec la brune qui lui a fait quelques suggestions intéressantes. Luke il est totalement pris dans son histoire et au moins cette lecture l'occupe et lui fait un peu oublier sa blessure. Il est finalement coupé dans son élan quand le téléphone se met à sonner. Il en a même un petit sursaut. Il marque sa page en cours, prend ses béquilles et se redresse. Une grimace sur le visage. Il décroche et avant qu'il ne prenne la parole il entend cette voix, ce prénom et il a le coeur qui s'emballe. Il prend le téléphone et le pose sur la table basse avant de s'asseoir de nouveau. Il reste muet quelques secondes.  - Bonjour Hiram. Non tu ne me déranges pas.. Il comprend que le garçon a bien reçu sa lettre et Luke a ce sourire qui se dessine timidement sur son visage, content de voir que le garçon accepte de reprendre contact avec lui. - je .. je suis content de cet appel. Il est tout stressé. Il n'a jamais vraiment aimé les conversations téléphoniques, il a toujours peur de ne pas savoir quoi dire, de laisser trop de blanc, ce u'il est en train de faire. - pardon.. je ne m'attendais pas à ton appel.. un petit soupire. Il joue avec le câble du téléphone, nerveux. puis je me permettre de te demander comment tu vas ?  

Pendant quelques secondes, le silence à l’autre bout du fil menace de le faire vriller. Hiram hésite à raccrocher, craignant d’être au cœur d’une mauvaise blague et ne souhaitant pas entendre la chute. Et puis Luke Douglas se décide enfin à lui répondre d’une voix calme, sereine. Un peu timide. Soulagé, le jeune homme se donne le droit de respirer. Ses épaules se détendent et ses lèvres esquissent un sourire timide. Savoir qu’il ne le dérange pas, qu’il est content de cet appel, se l’entendre dire surtout, lui redonne de l’espoir pour eux deux. Pour leur relation. Il essaie de se rappeler qu’il n’est pas le seul à tâtonner dans le noir, à ne pas savoir quoi faire de ce frère surgi de nulle part. « Je ne pensais pas appeler, avoue-t-il dans un souffle, gêné. » Parce que Luke ne peut pas le voir, il se permet de se frotter distraitement la nuque en enjambant un carton à peine défait. Son déménagement est encore récent et il a peu d’affaires, mais le désordre règne dans sa chambre. Quelque part entre une pile de comics et d’épais bouquins aux titres peu évocateurs se trouve le dossier contenant ses recherches sur ses origines, une centaine de lignes qui ne suffisent pas à résumer la complexité du lien qu’il est en train de maladroitement tisser avec son frère biologique. « Mais moi aussi, je suis content de l’avoir fait. » Un soupir, celui de Luke. Le téléphone collé à l’oreille, Hiram continue de faire les cent pas, son cerveau trop à l’affût pour que son corps accepte de rester immobile. Le fil se tend et se détend comme un accordéon dans son dos mais il ne le remarque pas. « Oui ! s’exclame-t-il d’un ton fébrile, oui, bien sûr, vous pouvez me demander comment je vais. Vous pouvez me poser toutes les questions que vous voulez. En général, je veux dire. » Silence. Il doit se rappeler que Luke attend probablement une réponse avant d’ouvrir la bouche. « Ça va. Et vous ? »

Mouvement du corps sur le canapé, de quoi changer de position pour avoir la cheville un peu plus surélevée. Vous pouvez me poser toutes les questions que vous voulez Luke en sait déjà beaucoup sur lui, il a un dossier complet sur sa vie qu'il a pu lire et relire, surtout depuis leur rencontre. Il sait très bien dans quel environnement le garçon a pu grandir mais les éléments manquants sont comment il a vécu cela. - tu sais Hiram, tu peux me dire tu... Enfin, si tu en as l’envie. Il se racle la gorge. Pourquoi est ce si difficile ? Luke n’ est pas un grand bavard de nature, mais là, chaque mot qu’il tente de prononcer sort avec difficulté. Une noix dans la gorge qu’il souhaite voir disparaître. Impossible de se sentir à l’aise alors qu’il ne se trouve même pas en face de son frère. Le coeur prêt à sortir de sa poitrine l'homme a du mal à gérer ses émotions. Étrange de la part d'un homme qui a été formé pour devenir une espèce de "robot". Il en oubli presque de lui répondre. - ça va merci. Il se gratte le front avant de passer sa main dans ses cheveux. Les yeux qui se lèvent vers le plafond. - aimerais tu que l'on se voit pour.. discuter ? Il y a ce parc assez sympa où ils pourront discuter tranquillement sans être dérangé, un lieu calme et discret. Cela permettra aussi à Luke de marcher en douceur, faire travailler cette cheville qui guérit petit à petit. - On pourrait se retrouver à Nokomis ?

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« Tu sais Hiram, résonne la voix de Luke à l’autre bout du fil, tu peux me dire tu... Enfin, si tu en as l’envie. »
S’il en a l’envie ? Le truc, c’est qu’il ne sait pas, Hiram. Il veut connaître ce frère dont il a longtemps rêvé l’existence. Il veut faire partie de sa vie, mais il a peur encore de le laisser s’approcher de trop près. Peur qu’il regrette, qu’il décide soudain que lui, Hiram Valentine, n’en vaut pas la peine. Lui accorder tout le respect, la froideur aussi, qu’on réserve d’ordinaire à un inconnu, c’est comme revêtir une armure. On peut quand même être blessé, mais pas autant que si on s’était jeté nu dans la bataille. Et le jeune homme a beau avoir lu et relu sa lettre, a beau espéré qu’ils soient un jour plus que des étrangers l’un pour l’autre, le souvenir de leur première rencontre est encore douloureux dans sa mémoire. Il refuse de subir un nouveau rejet. N’est pas sûr de pouvoir le supporter. Non, c’est plus prudent pour l’instant de garder un peu de distance. « D’accord, dit-il simplement. » Ce n’est pas tout à fait une acceptation, mais c’est une promesse.

« Aimerais-tu que l'on se voit pour… discuter ? On pourrait se retrouver à Nokomis ? » L’invitation le surprend. Il ne s’attendait pas à ce que Luke se montre aussi direct, et pourtant, il songe distraitement qu’il aurait dû s’y attendre. C’est la suite logique des choses, après tout. Pris au dépourvu, il ne peut que laisser le silence s’étirer, jusqu’à ce qu’il menace de devenir inconfortable, tandis qu’il tente désespérément de peser le pour et le contre. Il ignore si c’est une bonne idée. Mais, au fond, ça n’a pas d’importance. Il ne saura s’il a fait le bon choix qu’une fois qu’ils se seront revus, et qu’il devra vivre avec les conséquences. Il n’a plus qu’à faire cet ultime pas dans le vide.
« J’aimerais beaucoup, admet-il finalement. Mais d’abord, est-ce que je peux vous demander ce qui vous a fait changer d’avis ? »