appel.s entre Lily et Rahim

Il y a un énorme labrador noir qui la suit partout, manquant de la faire trébucher dés qu’elle arrête de regarder où elle met les pieds. Elle soupçonne le clébard d’avoir pris quelques coups sur la tête, pour être aussi collant auprès de quelqu’un qui le méprise. Mais peut-être qu’il est juste idiot. Comment savoir, songe distraitement Lily en usant de tout son poids pour le repousser loin de la porte de la cuisine. Elle n’y connaît rien, aux chiens. Elle ne savait même pas que Peter, son mari décédé (assassiné), en voulait un avant de franchir le seuil de sa maison à Nokomis, et qu’un monstre poilu de quarante kilos ne lui saute dessus en jappant sa joie. Elle avait hurlé, Don avait ri.
Elle lui avait rappelé qu’il était un fugitif recherché qu’elle n’appréciait même pas tant que ça, il avait rétorqué quelque chose qui ne devait pas être si important puisqu’elle l’avait déjà oublié.

Dans l’ensemble, leur cohabitation est plutôt paisible, seulement ponctuée par des piques moqueuses ici et là, mais bien loin des disputes incessantes auxquelles Lily s’attendait. Bien sûr, elle n’ignore pas les regards en coin que Don lui jette dès qu’elle mentionne Peter, comme s’il guettait le moment où elle allait arrêter de faire semblant et s’effondrer en hurlant. Elle n’ignore pas qu’elle passe pour la reine des connasses insensibles, à force de se réjouir que Peter n’ait jamais pris le temps de finaliser leur divorce, parce que comme ça elle a pu récupérer la maison sans trop d’efforts. Elle s’en fiche. Elle refuse de craquer. Même si chaque placard renferme un petit bout de la mémoire de son mari. Même si tout, entre ces quatres murs, semble la narguer en lui en exhibant le spectre d’un amour profondément généreux et désintéressé qu’elle n’aura plus. Qu’on lui a volé.
Elle a l’impression d’être en apnée, à deux doigts de la noyade, sauf que si elle ouvre la bouche pour crier, alors l’eau s’engouffrera dans ses poumons et elle disparaîtra au fond de l’océan.

Et Lily Tran est une survivante. Elle n’a pas besoin qu’on lui tende la main. Elle se prend un mur et puis, elle passe à autre chose. Pourtant, alors qu’elle compose presque par automatisme un numéro, elle se surprend à regretter. Regretter que Rahim ne sache pas qu’elle a été mariée, un jour. Fidèle, même, avant qu’ils ne se séparent et qu’elle ne se tourne vers la mafia pour survivre. Elle aurait pu lui en parler, alors, lui dire les mots qui restent coincés dans sa gorge et menacent de l’étouffer. Mais Rahim n’est pas au courant et lorsque qu’au bout d’interminables secondes, elle entend finalement une voix à l’autre bout du fil, c’est d’un ton enjoué qu’elle s’exclame : « Rahim ! C’est Lily, j’ai… un nouveau numéro. » Et une nouvelle adresse. Et un colocataire. Et un chien aussi, apparemment. Qui n’arrête pas d’aboyer derrière la porte parce que je refuse de le laisser rester avec moi pendant que je te téléphone. S’il te plaît, ne pose pas trop de questions. « Cela fait longtemps que je n’ai pas eu de tes nouvelles, comment vas-tu ? »
Trop longtemps, réalise-t-elle au moment où sa voix meurt dans le combiné. Elle ne s’en était même pas rendue compte. Quand lui a-t-elle parlé la dernière fois ? L’insouciance, la simplicité de leurs rendez-vous lui manquent cruellement. Ils semblent appartenir à une autre époque. « Tu n’as pas fait trop de bêtises en mon absence ? plaisante-t-elle pour détendre l’atmosphère. »

Il n'avait pas réagi tout de suite à la sonnerie du téléphone. Le son lui avait semblé étranger, lointain, quelque part ailleurs mais pas dans cet appartement. Même pas sûr d'y être lui-même, ou dans son corps d'ailleurs, mais il n'avait pas bougé pour vérifier, les yeux fixés sur un point imaginaire quelque part devant lui. Son regard qui s'était finalement posé sur le téléphone toujours en train de sonner, comme s'il ne réalisait que maintenant qu'il était là, que c'était de là que venait le bruit. La fatigue principalement, mais pas que. Le soupir légèrement tremblant qu'il avait eu en se levant, ses pas traînant jusqu'au combiné, et l'arrêt qu'il avait eu en entendant la voix de l'autre côté. Pas celle qu'il aurait voulu, impossible de toute façon, et l'impression qu'une éternité s'était écoulée depuis qu'il avait pu l'entendre pour la dernière fois. Ce qui était un peu le cas, tellement de choses étaient arrivées entre temps.

Hey Lily. Combien de temps qu'ils ne s'étaient pas vu, ou appelé d'ailleurs? La dernière fois c'était quand elle était venue chez lui et qu'ils avaient parlé de son pouvoir, et ensuite... Ensuite... Ça va. Moins bien qu'hier, mieux que demain. Mais ça ne servait à rien de l'inquiéter là-dessus, vraiment pas nécessaire, et il n'avait de toute façon pas très envie de lui expliquer pourquoi ça n'allait pas. Trop douloureux, encore plus au téléphone. Quant aux bêtises... Je... Ça dépendait des critères bien sûr, mais quelques unes oui... Retourner dans la prison et entraîner Brooke, puis participer à son évasion et continuer de l’entraîner. Appeler Nate et lui demander de l'aide pour son propre pouvoir. Trouver Stan, le perdre, le retrouver pour mieux le perdre à nouveau. Ce qui coulait régulièrement dans ses veines parce qu'il était incapable de dormir autrement maintenant.

Sa gorge serrée alors qu'il sentait ses jambes se dérober sous lui, se retenant au mur pour se laisser dans l'un des coussins près du téléphone, la douleur dans sa poitrine alors qu'il essayait de garder une voix normale au téléphone. Je me suis décoloré les cheveux en blond le mois dernier, ça compte comme une bêtise? Parce qu'il ne pouvait pas lui parler de tout le reste, trop dangereux avec les écoutes que menait l'U-AM. Trop difficile à expliquer aussi, et ça n'avait autant d'intérêt que pour lui de toute façon. J'ai suivi ton conseil aussi. Trop bien suivi. Son regard qui avait balayé l'appartement trop vide, trop chaud, et les larmes qu'il sentait s'amonceler au bord de ses paupières, essuyées d'un rapide revers de manche alors que ça n'avait plus aucune importance maintenant. Et toi, comment tu vas? C'est un chien que j'entends derrière toi?