[HALLOWEEN] j'adore l'eau, dans 20 ans y'en aura plus

Les voix des deux acteurs percent les haut-parleurs du téléviseur sous leurs puissances. Elles bousillent la boîte métallique pour s’attaquer directement à tes tympans, elles t’ensorcèlent, endorment tes neurones, bousculent ton cœur. Les paroles de ces chansons, tu les connais sur le bout des doigts, tu pourrais les répéter les yeux fermés et la langue dans la bouche. Du haut de tes trente ans, tu chutes, tu dégringoles jusqu’au fond de ta chambre d’adolescente ou tu tentais vainement de coiffer tes cheveux comme ceux d’Olivia Newton-John. Une ironie du sort te pique le bout des doigts alors que tu passes tes mains dans tes mèches fraîchement dorées. Et d’un coup, c’est un frisson qui te brûle le lobe de l’oreille. Un souvenir, une parole égarée, la voix de Bruce qui t’arrache le cartilage. Tu trouves pas que je lui ressemble ? Ca t’avait fait sourire, et même rire, mais tu l’avais regardé amoureusement en acquiesçant, vos baisers mourant dans la mélodie de Hopelessly Devoted to You. ((Quelle ironie.)).

C’est la voix de Neide qui te tire de ta rêverie amère, tes yeux s’accrochent à son profil comme à un bord de falaise. Sa réflexion t’arrache un rictus, tu la regardes d’un air contemplatif. « J’avoue que j’avais un petit faible secret pour Stockard Channing. ». Confession au bout des lèvres, tu reportes ton attention, un murmure t’échappe cependant. « Je dois avoir une petite préférence pour les vilaines filles ... ». Ton Impératrice des Glaces, elle te fait fondre avec ses prunelles de braise. ((Tant que c’est pas toi qui l’enflamme))

Le cuir du canapé couine, elle s’échappe pour quelques bouffés d’air toxique, elle t’abandonne en semant derrière des baisers innocents qui colorent le bout de tes joues. Tes mots peinent à franchir tes lèvres, sa silhouette a déjà disparu, la tienne s’enfonce mollement dans le sofa. A peine a-t-elle disparu de ton champ de vision que tu replonges dans la culpabilité de l’infidèle. Il y a ce goût terreux qui ne veut pas quitter ta bouche, une espèce de plaie qui peine à cicatriser alors qu’elle n’est même plus visible à l’oeil nu. Rompre avec Bruce n’était pas un regret. Mais le souvenir de son regard teintait ton bonheur nouveau d’encre indélébile.

Retour à la réalité, deuxième épisode. Cette fois, la voix de Neide est plus éloignée, tu traines ta carcasse jusqu’au balcon en fronçant les sourcils, soucieuse. « Les squatteurs ? Quels squat- ». Tes yeux peinent à identifier les visages dans la pénombre. Pourtant, ça te saisit tout de suite à la gorge. ((La peur.)). Instinctivement, tu prends la main de la demoiselle, la lèvre inférieure presque tremblante. « Neide … Je-Je pense pas que ce soit des squatteurs … ».

Le souvenir de ton père, patrouillant tous les soirs durant ta première semaine dans cet appartement, te revient subitement en mémoire. Ezra et lui avaient fait tout une comédie, persuadés que frêle femme que tu étais, tu serais incapable de faire face à ce genre de problèmes. Il fallait dire qu’il avait raison, tu étais du genre à fuir la confrontation. Changer de trottoirs quand on te regarde de travers, baisser les yeux quand on te crie dessus, te sauver quand on t’aborde trop cavalièrement. Il fallait voir le bon côté des choses : Maintenant, l’avantage, c’est que tu n’avais même plus besoin de tenir tête à qui que ce soit. Un contact et on t'embêterai plus. Mais bon, fallait dire que tu avais un sens de l’éthique bien trop important pour ce genre de pratiques. ((Tant pis.))

En règle générale, ce quartier n’avait jamais beaucoup de problèmes. Les gens étaient sympathiques, c’était plutôt calme, il n’y avait pas vraiment de vagues. Tu t’y sentais bien. Mais voilà, ce que Neide prend pour des squatteurs, tu sais que ce n’en sont pas. Alors qu’elle s’active à trouver un moyen de les faire partir, tu la regardes faire, oscillant entre des regards inquiets et des œillades craintives. Mais les efforts de la demoiselle ne semblent pas vraiment porter ses fruits, sa voix éclate presque brusquement entre vos corps.

Neide, elle a raison. Faut que t’arrêtes de te laisser marcher sur les pieds. Puis, tu peux le faire, vous êtes un peu en hauteur, tu ne crains rien. ((N’est-ce pas ?)). Tu te racles la gorge, la respiration irrégulière, tes mots atteignent des tonalités assez fortes pour résonner entre les murs de la ruelle. « b-BON CA S-SUFFIT ! PARTEZ MAINT-TENANT ! ». T’as encore la poitrine gonflée et le rouge qui ravage tes joues, mais au moins, tu l’as fait.


… Mais ce n’est pas vraiment une réussite puisque tu reçois en retour des grognements plus agressifs. Tu agrippes alors peureusement le bras de ta chérie, les yeux vitreux et la voix toute ravalée. « Je crois qu’ils n’ont pas trop apprécié mon aplomb … J’ai peur, Neide. ». T’auras beau être la plus âgée des deux, à cet instant, tu ressembles à une gamine qui a peur de l’orage.